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En 1948, l’Université de Californie construit et installe un télescope géant au sommet du Mont-Palomar : le mythique télescope « Hale » de cinq mètres de diamètre.
Afin de conduire leurs recherches dans les meilleures conditions, les scientifiques français souhaitent bientôt disposer d’un télescope de la même classe. Il faut néanmoins attendre la fin des années 1960 pour que la construction d’un tel instrument soit décidée. L’INAG (Institut National d’Astronomie et de Géophysique), entité dépendante du CNRS, est chargé de la coordination du projet. Outre la fabrication de l’instrument, il faut également choisir son lieu d’implantation. Une vaste campagne de recherche de site est menée. Des mesures de qualité de ciel sont effectuées. Elles incluent différents paramètres parmi lesquels la proportion de nuits exploitables, la transparence de l’atmosphère (faible taux d’hygrométrie), la turbulence atmosphérique la plus modérée possible, l’altitude, l’accessibilité.
Plusieurs sites des Hautes-Alpes, parmi d’autres, sont explorés. L’INAG réalise les mesures à l’aide de matériel mobile transporté et installé sur place, souvent avec l’aide des villageois, bien aguerris à la pratique de la montagne. Les scientifiques recueillent de nombreuses données qui montrent que le Pic de Château-Renard, à 2930 mètres d’altitude, un des sommets du village de Saint-Véran, présente les qualités requises. Selon les astronomes, le ciel de Saint-Véran est sans doute l’un des meilleurs ciels astronomiques d’Europe continentale. Seuls les Canaries pourraient le supplanter !
Le Pic de Château-Renard présente alors l’habituelle morphologie d’un sommet montagneux : il n’y a que des surfaces en pente, peu propices à l’implantation d’équipements scientifiques de grande taille. D’autre part, il n’existe pas non plus de route d’accès carrossable permettant d’atteindre le sommet. Des travaux routiers et de terrassement sont donc entrepris avec l’aide, à nouveau, des villageois. C’est ainsi qu’une piste est tracée et une plate-forme horizontale aménagée juste sous le sommet du Pic.
Le télescope est construit. Une entreprise rochelaise réalise la partie mécanique. L’optique est coulée par un fondeur canadien et polie en France. Mais finalement, des considérations budgétaires, scientifiques et politiques conduisent à son installation au sommet du Mauna Kéa, un volcan éteint d’une des îles Hawaï, à 4200 mètres d’altitude. En effet, devant l’ampleur du projet, la France fait appel à une collaboration internationale. Le Canada répond favorablement, l’Université de Hawaï met le site à disposition. Rappelons que ce télescope, le deuxième plus important au monde à cette époque représente un budget important. Il sera l’un des premiers installé au Mauna Kéa, en 1979. Aujourd’hui, la plate-forme accueille plus d’une dizaine d’instruments parmi les plus grands jamais construits. Le télescope franco-canadien est baptisé CFHT, Canada France Hawaï Télescope, son miroir a un diamètre de 3,60 mètres. Il est actuellement toujours en service, il est doté d’une des plus grandes caméras de prises de vues astronomiques.
Mais les instigateurs du projet franco-français n’en restent pas là ! Considérant que l’investissement matériel et humain engagé à Saint-Véran devait être valorisé, ils décident de profiter des infrastructures déjà réalisées. Cependant, il est aisé de comprendre que la part principale du budget de recherche astronomique est consacrée au CFHT. Il faudra alors faire preuve d’ingéniosité et de persévérance pour réussir à mener une aventure scientifique au Pic de Château-Renard. Les conditions d’ensoleillement du Queyras (300 jours de Soleil par an, comme l’affirme une publicité vantant la région !), sont propices à la mise en place d’une station astronomique d’étude du Soleil. La station doit comporter plusieurs éléments pour pouvoir fonctionner avec un certain niveau d’autonomie : une coupole, un instrument, une « base-vie », de l’énergie.
Comme l’acquisition de matériel neuf n’est guère envisageable pour les raisons évoquées plus haut, c’est vers du matériel existant que se retournent les astronomes, avec à leur tête Paul Felenbok, de l’Observatoire de Paris. Une des coupoles historiques de l’Observatoire de Paris, celui où ont exercé les Cassini, astronomes de Louis XIV, est démontée et remontée au Pic de Château-Renard. Cette coupole date des années 1950, elle a remplacé une coupole Eiffel préalablement installée sur le toit du bâtiment Perrault. Elle sera équipée d’un coronographe, appareil destiné à l’observation et l’étude de la couronne solaire, région de la haute atmosphère du Soleil visible lors des éclipses totales. Elle est le siège de phénomènes mal expliqués, notamment une température chiffrée en millions de degrés alors que la surface solaire n’atteint « que » environ 5500 degrés. La base-vie est une simple cabane de chantier aménagée en cuisine, salle à manger et dortoir. Elle peut héberger quatre personnes. Les deux bâtiments, coupole et base-vie, sont reliés par un « tunnel » permettant de passer de l’un à l’autre sans avoir à affronter les conditions extérieures, quelquefois extrêmes.
Parmi les difficultés rencontrées lors de l’exploitation de la base, notons la nécessité de refroidir les appareils à l’aide d’azote liquide à – 196° C. Dans un premier temps, l’azote était acheminé en deux étapes à l’observatoire. Le fournisseur s’arrêtait à Saint-Véran. Son véhicule n’était pas apte à gravir les onze kilomètres de piste montagnarde. C’est donc Joseph Brunet, un villageois, qui prenait le relais avec un véhicule adapté, son infatigable Mercédès Unimog pour grimper les bonbonnes jusqu’au sommet. Pour faciliter l’approvisionnement en azote liquide en toutes saisons, une unité de liquéfaction d’air a ensuite été installée à l’observatoire dans un nouveau bâtiment.
La « Station astronomique du Pic de Château Renard » a ainsi fonctionné de 1974 à 1982 à des fins de recherche scientifique sur le Soleil. La décennie 1980 et les suivantes, sous l’impulsion des progrès technologiques en exploration spatiale et en informatique, voient arriver l’ère de la mise hors de l’atmosphère terrestre d’observatoires de toutes natures. Le télescope Spatial Hubble en est assurément le plus bel exemple médiatique. L’observation solaire profite également de cet élan. Les observatoires terrestres perdent donc rapidement de leur intérêt. Qu’on en juge : « SOHO », l’un des premiers satellites dédiés à l’observation du Soleil a été placé au point de Lagrange, point d’équilibre entre les attractions solaire et terrestre. Cette situation lui permet d’observer, à l’aide de sa douzaine d’instruments, le Soleil 24 heures sur 24, et hors de l’atmosphère. Difficile de rivaliser !
Le coronographe est démonté en 1982. L’observatoire est désaffecté. En 1988, les astronomes constatent néanmoins que la station est restée en état de marche et envisagent d’y installer un télescope à visée polaire. Le projet achoppe.
L’espoir que les astronomes professionnels investissent à nouveau l’observatoire est quasi définitivement abandonné. Que faire d’une telle installation sous l’un des meilleurs ciels d’Europe ? Paul Felenbok trouve à nouveau la réponse : la mettre à disposition des astronomes amateurs. L’idée enchante immédiatement quelques aficionados de l’observation céleste. Une association est créée illico. Elle sera régie en partenariat avec l’Observatoire de Paris, son Conseil d’Administration comptera obligatoirement deux astronomes professionnels. C’est ainsi qu’AstroQueyras est née ! Sa mission : diffusion des connaissances.
Cependant, il ne faut pas oublier qu’à cet instant, c’est une coquille vide. Il n’y a plus d’instruments sous la coupole. Quelques recherches conduisent les astronomes sur la piste d’un télescope de 62 cm naguère prêté à l’observatoire de Grenade (Espagne) par l’OHP (Observatoire de Haute-Provence). L’instrument était dédié à l’étude d’étoiles bien particulières, les étoiles Be. Le succès de ces études a permis à Grenade de se faire financer un télescope plus grand (1,60 mètre), si bien que le 62 cm avait rejoint ses caisses. Au passage, il a dû être raccourci pour intégrer l’observatoire de Grenade. Cette opération, rendue indispensable par l’exiguïté de la coupole l’abritant, a nécessité de le doter d’un nouveau miroir. Ce miroir a été coulé avec le meilleur matériau du moment, un verre nommé « Zérodur » en raison de son coefficient de dilatation quasi nul. Le « Zérodur » est le matériau (mi verre, mi céramique) utilisé pour fabriquer les quatre miroirs de 8,20 mètres du VLT (Very Large Telescope), installation phare de l’Observatoire Européen Austral dans les Andes chiliennes.
Le télescope est rapidement transféré à Saint-Véran. C’est un instrument de deux ou trois tonnes qui va devoir intégrer la coupole. L’opération, pour être menée à son terme, nécessitera la mise en œuvre de moyens de manutention lourds. Hors de question de passer par les portes. La seule ouverture praticable est la trappe – le cimier – de la coupole. L’aide des villageois est à nouveau sollicitée. L’opération est menée à son terme sans difficultés majeures.
En 1990, un premier groupe d’astronomes amateurs séjourne « en mission » d’une semaine. Près de trente ans après, ce mode de fonctionnement perdure. AstroQueyras a ainsi permis à plus de 2000 astronomes amateurs de vivre leur passion à 3000 mètres d’altitude, ce qui représente au moins 12 000 nuitées. La convention liant AstroQueyras à l’Observatoire de Paris prévoit, qu’outre les astronomes amateurs, les randonneurs soient également accueillis pour des visites en journée. Un bel après-midi d’été peut voir arriver près d’une centaine de visiteurs !
La réputation du site et la qualité de l’instrumentation attirent chaque année une vingtaine de missions composées de six à dix membres. Les groupes séjournent une semaine. Pour pouvoir prétendre à une mission, un groupe postulant doit expédier, en janvier ou février, une « demande de mission » argumentée. Le « Comité des Programmes » d’AstroQueyras examine l’ensemble des demandes et attribue les semaines selon un barème tenant compte, par exemple, de la pertinence ou de l’originalité du programme proposé.
L'observatoire en 2009.
Après quarante années de bons et loyaux services, la base-vie commence à présenter de sérieux signes de vétusté. De plus, elle ne peut guère prétendre à l’accueil du public, nouvelle orientation de l’association AstroQueyras, du fait de l’exigüité et d’un certain inconfort des bâtiments. La commune de Saint-Véran apporte alors son concours à la recherche de financements pour la reconstruction, selon les normes actuelles, des installations d’hébergement, proposant au passage d’augmenter sensiblement la capacité d’accueil, de façon à proposer au public de venir passer une « Nuit découverte du ciel » à l’observatoire. C’est ainsi que le 1er août 2015, l’observatoire « nouveau » recevait ses premiers visiteurs et sa première mission d’astronomes amateurs dans ses locaux rénovés. Une troisième coupole, après celle installée en 2005, est venue compléter les installations.
L’observatoire est désormais équipé de quatre instruments. Le télescope de 62 cm est plus que jamais présent sous sa coupole de sept mètres. AstroQueyras a profité de la rénovation et de l’élan, voire de l’enthousiasme, de ses partenaires, pour investir dans deux nouveaux instruments. Il s’agit de deux télescopes identiques abrités chacun sous leur propre coupole, des Ritchey-Chrétien de 50 cm. Le quatrième instrument n’est autre que l’astrographe initialement installé sous la coupole de 5 mètres, monté en parallèle d’un des Ritchey-Chrétien.
Trois spectrographes complètent l’instrumentation : le premier à basse résolution, le deuxième, sur banc optique plus particulièrement destiné à l’apprentissage de la discipline (résolution moyenne) et enfin un spectrographe échelle à haute résolution, également sur banc optique, comme spectrographe d’application pour des travaux plus précis.
Bien entendu, l’observatoire dispose aussi de matériel d’acquisition des données : caméras CCD, roues à filtres pour l’imagerie, la photométrie, etc.
L’ensemble de cet équipement est mis à la disposition des groupes d’astronomes amateurs qui désirent profiter à la fois d’un des meilleurs ciels d’Europe et de conditions de séjours exceptionnelles à cette altitude. Nul pré-requis n’est exigé, au contraire, AstroQueyras a à cœur de recevoir des débutants aussi bien que des expérimentateurs chevronnés, chacun s’évertuant à partager ses connaissances.
Un des Ritchey-Chrétien est réservé, en juillet et août, au public « découvreur » du ciel.